Dénomination de la passerelle Pierre Truche, magistrat lyonnais d’exception

Mesdames, messieurs

Le choix d’un nom pour un espace public, comme nous vous le proposons aujourd’hui pour la passerelle du Palais de Justice, n’est jamais anodin.

C’est non seulement un moyen de rendre hommage à une femme ou un homme remarquable, mais c’est aussi une manière de raconter une histoire – notre histoire. D’affirmer l’identité de notre ville en faisant vivre la mémoire de celles et ceux (de ses enfants) qui ne doivent pas être oubliés.

Pierre Truche fait assurément partie de ceux-là.

Magistrat d’exception, lyonnais, figure emblématique de la défense des Droits humains, il restera à jamais dans l’Histoire le procureur général du procès Klaus Barbie. Celui qui obtint au terme d’un réquisitoire exemplaire devant la Cour d’Assises du Rhône « qu’à vie, Barbie, soit reclus », après avoir été reconnu coupable de crime contre l’humanité.
C’était d’ailleurs, faut-il le rappeler, la première fois en France qu’un homme était jugé pour crime contre l’humanité, qui avait été défini dans le statut du Tribunal militaire de Nuremberg.
Un ancien officier SS particulièrement zélé dans sa traque des juifs et des résistants, devenu Chef de la Gestapo lyonnaise. Responsable de la déportation vers les camps de la mort de milliers de Juifs, c’est aussi sous sa direction que fut arrêté Jean Moulin le 21 juin 1943, et torturé comme des centaines d’autres résistants qui ont donné leur vie pour que d’autres puissent vivre.
Le « boucher de Lyon », comme on l’appelle aujourd’hui, a été condamné. Et Pierre Truche a marqué l’histoire en contribuant magistralement à ce que chacun se souvienne des heures sombres du passé.

Aujourd’hui, 78 ans après la libération des survivants des camps de la mort et alors que Claude Bloch, le dernier survivant lyonnais d’Auschwitz vient de disparaître, les ombres du passé semblent ressurgir un peu partout en Europe, en France et particulièrement à Lyon, chez nous où des groupuscules néo-nazis et fascistes d’extrême-droite font trop souvent entendre le bruit de leurs bottes à deux pas de ce Palais de justice où le Procès Barbie s’est tenu.
Des groupes identitaires qui se retrouvent dans des locaux du Vieux-Lyon, où ils s’entraînent en vue de leurs actions violentes, et d’intimidation contre tous ceux qu’ils considèrent comme étrangers, contre l’esprit d’accueil qui anime la plupart des lyonnaises et lyonnais, contre les humanistes.
Ils sont l’expression de la haine élevée au rang d’idées par des formations politiques face auxquelles, il n’y a encore pas si longtemps, l’ensemble des Républicains s’entendaient pour former un rempart sans concession.

Face à celui qui fut sans doute l’un des pires criminels de notre Histoire, Pierre Truche, lui, n’avait pas dérogé à son principe d’humanité. Malgré l’intense émotion de ce procès, l’horreur indicible des témoignages de rescapés, il avait mis un point d’honneur à respecter les Droits de la Défense et à convaincre, par la raison et non par les sentiments.
Une ligne directrice qui marque l’ensemble de sa longue carrière et l’héritage qu’il laisse à une institution judiciaire qui a unanimement salué sa hauteur de vue lors de son décès en 2020. Rappelons qu’il a également été le premier magistrat lyonnais à accéder à la tête de la plus haute juridiction judiciaire française, la Cour de Cassation, qu’il présida entre 1996 et 1999, et qu’il n’a jamais cessé de défendre une justice qui place l’humain au centre, appelant les magistrats à s’exprimer avec des mots simples, afin d’être compris de tous, dans le respect – toujours – de la dignité de l’être humain.

Directeur des études de l’Ecole nationale de la magistrature, Président de la commission de réflexion sur la justice et de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, il a occupé de nombreuses fonctions prestigieuses qu’il serait trop long de citer ici. Retenons toutefois le souci inébranlable de rigueur et d’éthique dont il fit preuve tout au long de sa vie.

En donnant son nom à cette passerelle hautement symbolique, qui relie la presqu’île au vieux-Lyon et mène directement au lieu où se rend la Justice qu’il a si bien incarnée, nous souhaitons continuer à faire vivre son héritage.
À faire vivre, aussi, la mémoire de toutes les victimes de la barbarie pour ne jamais oublier jusqu’où peuvent mener l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie, et toutes les formes de discrimination. Mais aussi à faire vivre cet esprit de résistance contre toutes les formes d’autoritarisme et de violence.

Reliant les deux rives de la Saône, cette passerelle portera désormais le nom d’un grand Homme de loi. Comme un symbole reliant le passé et l’avenir, espérons qu’elle puisse mener chaque passant, chaque être humain qui la traversera, à se souvenir le temps d’une ballade ou d’un trajet quotidien, de cette page terrible de notre Histoire commune. Afin que notre génération et les prochaines n’aient pas à la revivre.