Enfants à la rue : certains combats n’ont pas de couleur politique, juste la couleur de l’humanité

Merci Madame la Maire,

En France, alors que nous venons de célébrer il y a quelques jours la journée internationale des droits de l’enfant, 2373 enfants dorment dehors, exposés au froid, à l’insécurité et à la précarité.
Ils sont 330 dans notre métropole dont 158 enfants à Lyon. Et il y a deux ans, à la même période, alors que je prenais ici même la parole sur le même sujet, ils n’étaient « que » 123 enfants dans la métropole à dormir dans la rue.
L’ensemble de ces chiffres hallucinants n’incluent pas les mineurs non accompagnés. Et encore, ces chiffres seraient sous-évalués, ne s’appuyant que sur les appels reçus par le 115, et ne tenant donc pas compte de toutes les personnes et familles qui par dépit se sont résignés à ne pas appeler ce numéro.

Fin octobre, le squat ou « lieu de vie informel » Pyramide situé dans notre arrondissement a été expulsé par la préfecture, sans solution stable de relogement, notamment pour les 40 familles avec enfants qui s’y trouvaient. Présente dès 6h ce lundi matin-là, j’ai pu, comme les voisins, voisines et soutiens présents me confronter, encore une fois, au manque de considération de notre préfecture pour les personnes sans domicile.
Cette préfecture qui a pourtant en charge l’hébergement d’urgence. Mais le 115, dispositif financé par l’Etat est saturé. Il ne peut plus mettre à l’abri, en raison notamment de la fermeture des places d’hébergement, moins 14 000 places sur 2022 et 2023.

Fin octobre, encore, c’est Laure qui a été remise à la rue avec ses 3 enfants, 3 ans, 1 an et 1 mois par la Métropole de Lyon. Vendredi dernier, ça a été le tour de Laetitia et sa petite-fille d’un mois.
Cette Métropole qui a pourtant la charge de la protection de l’enfance et de l’hébergement des femmes enceintes et des mères isolées.

Mais en France, on refuse ou on arrête de mettre des enfants à l’abri.
La responsabilité incombe autant au gouvernement qu’au département, ici à la métropole de Lyon. Mais les deux se renvoient la balle inlassablement.

Pour des questions d’argent supposés ou de vision politique…

À titre d’exemple, les départements de l’Ain, du territoire de Belfort, des Bouches du Rhône et de la Vienne ont annoncé la suspension pour trois mois de la protection par l’aide sociale à l’enfance des enfants non accompagnés, sans domicile.

Dans toutes ces situations, non exhaustives, les enfants sont encore les premières victimes. Où est passé notre humanité ? Je ne développerai pas ici mais l’absence de domicile a des conséquences graves sur leur scolarité, leur santé physique et mentale des enfants.

Pourtant la France a été condamnée deux fois en deux ans, la dernière condamnation date du 24 novembre dernier, en raison du refus d’exécuter des injonctions du juge des référés concernant l’Hébergement d’urgence.

Pourtant dans une décision du 1er juillet 2020, le Conseil d’État précise et élargit les obligations des départements en matière d’hébergement et de prise en charge des femmes enceintes et des mères isolées. Je cite « en principe à la charge de l’État les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des personnes qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement, ainsi que l’hébergement d’urgence des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, il résulte des dispositions citées […] que la prise en charge, qui inclut l’hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu’elles sont sans domicile, incombe au département »

Pourtant, dans la métropole de Lyon, près de 18 000 logements sont vides depuis plus de 2 ans, dont 70 % qui appartiennent à des organismes publics, ce  qui  donne  aisément des  marges  de  manœuvre  importantes  pour les  réquisitionner et  les  transformer en lieu d’hébergement d’urgence. Pour les centaines de locaux temporairement laissés vacants car en transition entre deux affectations, en attente de travaux, etc., une grande partie d’entre eux pourraient être utilisés pendant cette période pour accueillir des personnes sans-abri, en signant des conventions d’occupation intercalaires entre le propriétaire du bâtiment et une association agréée par l’État

Pourtant les mesures prises pour l’accueil des réfugiés ukrainiens prouvent que le volontarisme politique permet d’atteindre l’objectif « 0 sans-abri ».

Alors en solidarité, partout en France des associations réclament la réouverture de 10 000 places d’hébergement d’urgence, soutenus par les députés-es à l’Assemblée Nationale.

Ces associations se mobilisent aussi sur notre territoire.
Avec le collectif « Jamais sans Toit » ce sont 10 écoles à Lyon qui ouvrent leurs portes chaque nuit pour loger une trentaine d’enfants et leurs parents. 
Le collectif Solidarité entre Femmes à la rue et l’association Droit au logement 69 occupent depuis 1 mois le CCVA de Villeurbanne. Une soixantaine d’enfants y ont trouvé refuge avec leurs mères ou leurs deux parents.
Tous ces collectifs et associations organisent des rassemblements, le dernier ayant eu lieu devant la métropole jeudi dernier.

En laissant des enfants à la rue, l’État et les collectivités ne respectent pas les droits fondamentaux inscrits dans la Convention internationale des droits de l’enfant et n’assument pas non plus leurs obligations essentielles de solidarité, de protection sociale et d’hébergement.

Alors, quand une ville, comme Lyon, est proactive, va au-delà de ces compétences et ouvrent avec les associations une centaine de places d’hébergements dans plusieurs bâtiments du patrimoine municipal dont dans l’ancien commissariat du 7e pour accueillir une dizaine de famille, nous ne pouvons que prendre part à cette politique altruiste et la soutenir.

La ville pallie comme elle le peut aux carences institutionnelles, mais elle ne peut pas tout.

Les besoins d’hébergement ne sont clairement pas couverts, ils ne s’arrêtent pas avec la fin de la trêve hivernale et l’hébergement d’urgence n’est pas une solution sur du long terme.
Pour nous, « gouverner c’est d’abord loger son peuple » l’accès à un logement durable pour tous et toutes n’est pas négociable. Il ne peut pas être sous conditions.

Nous continuerons à faire pression sur l’Etat, qui a sabré dans le budget des aides au logement et des bailleurs sociaux, sur la préfecture et sur la métropole pour qu’ils prennent des décisions aussi évidentes, aussi simples, que de mettre à l’abri 330 enfants et leurs parents.

Certains combats n’ont pas de couleur politique, ils ont juste la couleur de l’humanité.

Je vous remercie.