Réécouter l’édito engagé de Laurent Bosetti pour un ambitieux Plan Handicap

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« L’émancipation des personnes en situation de handicap s’inscrit dans l’histoire des luttes sociales »

Notre municipalité promeut cette idée fondamentale que le handicap ne résulte pas principalement d’une déficience ou d’une condition médicale mais qu’il est d’abord la conséquence d’une organisation sociale qui érige des barrières structurelles, qu’elles soient règlementaires, environnementales, économiques et sociales.
Nous portons en cela une approche universaliste de l’égalité qui vise à ce que les pouvoirs publics assurent la pleine participation de tous les citoyens à la vie de la cité, indépendamment de leur situation, qu’ils soient valides ou en situation de handicap.

Respecter les grands principes de la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées (CIDPH)

Notre municipalité a été interpellée par le rapport de l’ONU de novembre 2021 sur l’application de la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées (CIDPH) en France.  En effet, si l’ONU reconnaît dans ce rapport des avancées depuis la loi de 2005, elle dénonce aussi des politiques publiques « basées sur le modèle médical et une approche paternaliste du handicap ».
L’ONU critique dans son rapport une politique d’institutionnalisation systématique des personnes en situation de handicap qui constitue « une forme courante de privation de liberté ».
L’ONU pointe aussi la représentation des personnes en situation de handicap. La loi de 2005 confond « les associations de prestataires de services et de gestionnaires avec les organisations de personnes handicapées, ce qui entraine des conflits d’intérêts ». « Les organisations de personnes handicapées sont éliminées des prises de décision en ce qui concerne le handicap dans tous les domaines ».
En France, la défenseure des droits défend une vision très proche de celle développée par l’ONU, à travers son rapport sur la mise en œuvre de la CIDPH (juillet 2021). Elle invite le gouvernement à « revoir la définition du handicap afin de la rendre pleinement conforme à la Convention », critiquant aussi l’approche médicalisée prévalant dans notre pays.
Cette analyse est corroborée en 2023 par le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe qui conclut à une violation par la France de la charte sociale européenne sur la question du respect des droits des personnes handicapées.

Le handicap comme lutte d’émancipation sociale


Ces rapports institutionnels corroborent in fine les revendications portées ces dernières années par un certain nombre d’associations ou de collectifs de personnes en situation de handicap en faveur de la désinstitutionnalisation, de la défense de la vie autonome, de la lutte contre le « validisme ».
Notre municipalité reconnait leur engagement et leur action, l’utilité des luttes militantes pour faire bouger les lignes, la nécessaire repolitisation du handicap, la radicalité des revendications portées, l’approche intersectionnelle des discriminations, qui visent à sortir d’une vision caritative et compassionnelle du handicap, historiquement ancrée dans notre pays.
Car oui, l’émancipation des personnes en situation de handicap s’inscrit dans l’histoire des luttes sociales, dans l’histoire des minorités opprimées, dans l’histoire des mouvements de libération qui oeuvrent face à des systèmes d’oppression institutionnalisés. Gardons en mémoire les logiques d’exclusion, de honte ou de misérabilisme qui ont marqué l’histoire de notre pays.
L’émancipation est une lutte. Le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis est une très belle illustration de ce nécessaire rapport de force. Les luttes de libération ont conduit dans les années 60 à la fermeture d’institutions médico-sociales, comme en témoigne le documentaire Crip camp, traduit en français par la révolution des éclopés. Les universités anglo-saxonnes ont poursuivi ce travail d’émancipation à travers les fameuses « disabilities studies », un courant académique interdisciplinaire sans équivalent en France.
Pourtant, notre pays a aussi connu des évolutions profondes selon les époques. De l’assistanat au droit à la réparation, de l’obligation d’intégration au droit à la compensation, les lois de notre pays ont évolué vers une plus grande reconnaissance des droits, malgré toutes les limites précitées. 
Ces avancées, ces victoires, sont le fruit de luttes citoyennes, de luttes syndicales, de luttes associatives, de luttes politiques, pour vivre plus dignement et bénéficier d’un droit à l’auto-détermination. Ces transformations sont toujours à l’œuvre mais ô combien difficiles à concrétiser dans un système construit principalement par et pour des personnes valides.

Une conscientisation et une critique nécessaires de la société validiste


En 2022, notre municipalité a organisé une commission générale sur le validisme, en présence de l’ensemble des conseillères et conseillers municipaux, afin de mieux comprendre comment, dans la plupart des pays, les personnes en situation de handicap sont encore victimes de représentations stigmatisantes, avec une norme sociale profondément autocentrée sur les personnes valides.
Il en résulte un positionnement politique de notre exécutif en faveur des recommandations des Nations-Unies, des recommandations de la défenseure des droits, ainsi que des luttes d’émancipation portées par les collectifs militants en faveur d’une société dite « anti-validiste ».
Ce cap politique est d’autant plus souhaitable qu’un certain nombre de pays ont amorcé la bascule de la désinstitutionnalisation avec succès. Pour réussir, la transition doit bien sûr s’accompagner de moyens d’autonomisation suffisants au risque d’être contre-productive ; d’un échange d’expériences étroit avec les pays les plus avancés ; du postulat que les personnes avec un handicap sont les meilleurs experts de leurs besoins : en somme, « rien pour nous sans nous ».

Un cap politique ambitieux à concilier à l’épreuve du réel


Si notre municipalité est fière de pouvoir porter cette parole, elle reconnaît aussi avec humilité ses propres insuffisances, le poids des représentations et de l’organisation sociale en place, qui rendent l’indispensable transformation extrêmement complexe et nécessairement progressive.
Nous nous heurtons nous-mêmes à la tension entre idéaux et moyens, à la nécessité d’embarquer l’ensemble des acteurs, à faire évoluer les représentations sans vouloir les imposer, à échelonner notre action sans espérer renverser la table en un seul mandat. Nous assumerons le grand écart entre l’horizon militant, la parole donnée et l’exercice du pouvoir avec toutes ses limites et ses frustrations.
Pour cela, nous ne partons cependant pas de rien. D’autres élus, avant nous, ont contribué à faire  avancer les droits des personnes en situation de handicap. La Ville de Lyon s’est vu décerner en 2018 le premier prix des villes les plus accessibles qui témoigne que nombre de personnes en situation de handicap s’épanouissent aujourd’hui à Lyon dans un environnement aménagé, ou a minima moins excluant que d’autres agglomérations.
Dans le même temps, nous devons relever des défis colossaux comme la mise en accessibilité de nos établissements municipaux. Or, alors que l’agenda d’accessibilité programmé impose à toutes les collectivités une mise en conformité de leurs bâtiments à l’horizon 2024, nous héritons d’une « dette d’accessibilité » considérable puisqu’en 2020, au début de notre mandat, seuls 11% des bâtiments étaient conformes en matière d’accessibilité. Nous mesurons combien l’égalité des droits demeure aujourd’hui encore un défi immense, nécessitant des moyens humains et budgétaires considérables.

Une stratégie handicap pour la période 2023-2026 


Parce que nous mesurons la nécessité de poser un acte politique, des orientations stratégiques, des engagements concrets, notre exécutif fait le choix de formaliser aujourd’hui un plan handicap pour donner à voir à nos partenaires, à notre administration, à nos concitoyens, où nous souhaitons aller.
Nous avons construit ce plan handicap pendant près d’un an avec les associations de la commission communale d’accessibilité, avec la parole de citoyennes et citoyens en situation de handicap, avec la mobilisation transversale des élus de la Ville de Lyon et des nombreuses directions impliquées, avec le regard croisé de nos partenaires et d’acteurs ressources inspirants.

Le plan handicap valorise des actions déjà réalisées sous ce mandat et répertorie les initiatives envisagées sur la période 2023-2026 ; il reprend par ailleurs les intentions annoncées par notre collectivité lors du Global disability summit de 2022 où Lyon a été la première ville au monde à s’engager formellement, de manière à garantir une redevabilité périodique sur ses actions.
Le plan handicap n’a pas vocation à l’exhaustivité : les actions présentées pourront encore être enrichies, modifiées, reformulées au fur et à mesure de leur mise en œuvre, selon les contraintes et les opportunités. Il constitue la feuille de route opérationnelle de l’administration municipale.

Nous sommes très heureux, politiquement, d’aboutir à la finalisation de ce document d’orientations stratégiques qui nous anime tout autant qu’il nous oblige.