Judith Heumann, militante américaine des droits des personnes handicapées, nous a quitté.
Une immense figure du mouvement des droits civils disparait. Elle laisse un héritage monumental en matière d’égalité des droits, d’engagement militant et d’humanisme. Si elle n’est pas très connue en France, elle est reconnue comme une égérie internationale par la communauté des personnes handicapées. Elle a contribué à remuer le politique et à faire bouger la société.
Nous devons nous inspirer de son combat. Nous avons une “dette d’accessibilité”.
Nous sommes en retard. Si des progrès ont été accomplis, le chantier reste considérable.
En France, l’égalité des droits n’est pas respectée. Cette égalité nécessite des moyens budgétaires colossaux pour garantir à toute à chacun une vie autonome. Et ce n’est pas dans une société qui hurle sans cesse à la dépense publique que nous réussirons ce pari.
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Mes chers collègues,
Je me saisis aujourd’hui de ces délibérations-hommages à de grandes figures féminines pour partager avec vous une bien triste nouvelle, en ma qualité d’adjoint au handicap.
Samedi dernier, Judith Heumann, militante américaine des droits des personnes handicapées, nous a quitté à 75 ans. C’est une immense figure du mouvement des droits civils qui disparait. Elle laisse derrière elle un héritage monumental, en matière d’égalité des droits, en matière d’engagement militant, en matière d’humanisme.
J’ai conscience que Judith Heumann n’est pas forcément très connue en France, en tout cas pas du grand public. Les médias français ne se sont pas fait écho outre mesure de sa disparition. C’est regrettable car elle est reconnue comme une égérie internationale par la communauté des personnes handicapées et comme la mère des droits civils pour certains.
En France, le documentaire Crip Camp, « la révolution des éclopés », a tout de même contribué à populariser son parcours. Je voulais lui rendre aujourd’hui un hommage appuyé en partageant avec vous quelques épisodes significatifs de son parcours.
Judith Heumann restera célèbre pour avoir organisé un sit-in dans les bureaux du ministère de la santé et de l’éducation à San Francisco en 1977, mobilisant près de 150 personnes handicapées pendant 28 jours, nuit et jour, dans des conditions extrêmement éprouvantes.
Ce sit-in, le plus long de l’histoire des Etats-Unis dans un établissement fédéral, s’inscrivait en réponse au refus du secrétaire à la santé et à l’éducation de l’époque de signer les règlements d’application des droits civils des personnes handicapées, parce que leurs mises en œuvre aurait couté trop chères à la société. Elle conduira cette lutte jusqu’à la victoire et posera ainsi les jalons de la grande loi sur handicap adoptée aux Etats-Unis en 1990.
Judith Heumann s’était fait connaître avant cela par son procès à l’encontre du bureau de l’éducation de New-York qui lui refusait son permis d’enseigner, estimant qu’elle n’était pas en mesure d’évacuer, et de faire évacuer, l’établissement en cas d’incendie. Elle remportera là-aussi cette manche puis fondera en 1970, avec des amis handicapés, « disabled in action », pour que les personnes concernées s’auto-organisent pour conquérir de nouveaux droits.
Judith Heumann avait été très marquée par son éviction de l’école publique dès son plus jeune âge, au prétexte qu’elle était en fauteuil roulant et que le bâtiment n’était pas accessible. Elle poursuivra cette lutte jusqu’à son accès à l’université, en exigeant par exemple le déploiement de rampes pour les salles de classe des étudiants.
De par sa notoriété, elle deviendra ultérieurement une véritable ambassadrice internationale des droits des personnes handicapées, comme conseillère à la banque mondiale sur le handicap et le développement, de 2002 à 2006, puis conseillère spéciale sur les droits des personnes handicapées dans l’administration Obama, de 2010 à 2017.
Au-delà du parcours exceptionnel de cette dame exceptionnelle, nous avons sans doute à nous inspirer de son combat et je dirais, d’une certaine manière, de son oeuvre.
En tant que nouvel adjoint au handicap, je mesure -quelques mois après ma prise de fonction- la « dette d’accessibilité » qui est devant nous. Nous sommes en retard sur tout. Notre société est en retard sur tout. Je ne dis pas que des progrès n’ont pas été accomplis ces dernières années. Mais le chantier est considérable, il en est même inquiétant, les injustices sont encore criantes, les discriminations beaucoup trop nombreuses.
En France, l’égalité des droits n’est pas respectée. La loi de 2005 n’est pas respectée. Il faut se le dire : l’égalité des droits nécessite des moyens budgétaires colossaux, colossaux, pour garantir à toute à chacun une vie autonome. Ce n’est donc pas dans une société qui hurle sans cesse à la dépense publique que nous réussirons ce pari.
Je retiens aussi de l’engagement de Judith Heumann sa ferveur militante, sa détermination, sa justesse dans l’action médiatique orchestrée. Elle témoigne, s’il le fallait, que la désobéissance civile n’est pas un gros mot et que, n’en déplaise à certains dans cette assemblée, elle est aussi une manière de remuer le politique et de faire bouger la société.
Enfin, Judith Heumann me parait aussi avant-gardiste sur la méthode. Elle remet les personnes handicapées au cœur de la lutte, dans une logique d’empowerment, dans une logique de pouvoir d’agir, qui consacrera plus tard le fameux slogan « jamais rien pour nous sans nous ».
Pour toutes ces raisons, je formule le vœu que notre Ville, dans les prochains mois, puisse donner son nom à une rue ou à un équipement de notre territoire.
Judith Heumann, la Ville de Lyon vous rend hommage aujourd’hui, et votre combat restera pour nous une source d’inspiration pour l’égalité, dans toutes nos politiques publiques.